Collectif des équipes chorégraphiques

ANALYSE ET PROPOSITIONS DU COLLECTIF DES EQUIPES CHOREGRAPHIQUES DE RHONE-ALPES

 

INTRODUCTION

 Depuis l'automne 2000, le Collectif des Equipes Chorégraphiques de Rhône-Alpes (une trentaine d'équipes) se réunit régulièrement autour des préoccupations et inquiétudes actuelles de la profession.

Comme dans les autres secteurs du spectacle vivant, les compagnies de danse souffrent d'un désengagement de l'Etat envers la création. La réponse des institutions, face aux besoins des équipes chorégraphiques, est trop souvent, la consolidation de ce qui existe déjà. Or, aujourd'hui, en 2001, les esthétiques, les modes de relation au public, les processus de création ont évolué, le nombre d'acteurs de la danse et de projets se sont multipliés. Il est temps de penser à un réajustement des structures en place, à la création de nouveaux outils pour accompagner les démarches artistiques d'aujourd'hui. Il est fondamental de prévenir un glissement du secteur artistique vers les lois du marché avec les mesures de labellisation et les critères de rentabilité qui l'accompagnent.

Il existe une lourdeur administrative grandissante et un verrouillage, là où nous avons besoin de mobilité et d'attention portée aux initiatives d'aujourd'hui. Que devient une société si l'exercice de la pensée, ce mouvement, fondement de la dignité humaine, est étouffé ou délaissé à l'endroit de sa fragilité, là où il est de par sa nature germe des formes à venir ?

Faut-il rappeler que la création, pour développer ses réalisations, est dépendante des fonds publics et que seul l'Etat peut entreprendre une politique qui garantisse son développement et l'universalité de la pensée ?

Depuis quelques années, différents regroupements et collectifs de danse et de théâtre se sont mobilisés en France pour se concerter et questionner l'Etat sur l'inertie des structures et des moyens mis en place. Ces questions n'ont pas trouvé de réponses tangibles. Nous les renouvelons, partant de notre réalité géographique et en concertation avec ces artistes partenaires de différentes régions.

À l’aube des échéances de 2002, nous attendons encore des déclarations fermes sur une politique de la Culture.

LES MOYENS

1 - Le budget

Concernant la répartition des budgets, deux aspects importants sont particulièrement préoccupants :

- La création et les éclosions de nouveaux projets apparaissent comme les parents pauvres d'une répartition de ces moyens financiers. Malgré le collectif budgétaire de l'année 2000 (cinquante millions de francs supplémentaires pour la Culture), reconduit en 2001, nous constatons une diminution de l'aide à la production et à la création. 95% du budget national consacré aux institutions et 5 % aux compagnies indépendantes et aides aux projets : Ces chiffres font apparaître une répartition dramatique pour le vivier de la vie artistique.

- La création de structures et de mesures institutionnelles (CND, Accueils-studios, Plateaux pour la danse), rend les compagnies indépendantes de plus en plus dépendantes de ces structures. Cette dépendance, dûe au déséquilibre entre aides directes et aides indirectes aux compagnies, est un facteur de disparition de la pluralité artistique et d'appauvrissement des compagnies.

Actuellement, seule la DRAC aide directement les compagnies ; cette aide est essentielle pour leur survie et à travers elle celle des professionnels de la danse. Or, sur le nombre de compagnies professionnelles répertoriées en Rhône-Alpes, nous pouvons constater à la lecture des chiffres officiels de subventionnement que 88 % des compagnies ne sont pas du tout soutenues.

Par ailleurs, nous rappelons la disproportion du budget danse face à celui de la musique et du théâtre. Pour exemple, en 1999, le budget global des compagnies dramatiques s'élevait à 174,467 millions de francs, celui des compagnies chorégraphiques était de 21,88 millions de francs. Ce rapport n'a sensiblement pas bougé.

Par ces observations, nous nous associons à la revendication d'un budget de 2 % pour la Culture. Il est pour nous prioritaire que lEtat se repositionne, qu’il redéfinisse son rôle à l'égard de la création et qu'il réévalue son aide directe aux compagnies indépendantes. Il est nécessaire d’avoir une augmentation des compagnies aidées et un relèvement des planchers des " aides au projet " et " aides aux compagnies " . Le montant plancher de 50 000 Fr pour une aide au projet est trop bas et il ne répond pas à réalité économique d'une compagnie de danse. Pour les aides aux compagnies, puisqu’il s'agit de les aider à se structurer dans une permanence artistique et administrative, il serait plus réaliste de s'approcher d'un plancher de 300 000 Fr.

Il est également nécessaire, en regard d'une logique linéaire de subventionnement (projets, compagnies indépendantes, conventionnement...) d'intégrer la singularité des projets. Comment prendre en compte le fait que certains artistes ne désirent pas travailler en structure de compagnie ? Comment intégrer des modes d'ouvrages différents : collégialités, représentations hors des lieux conventionnels, créations sur le mode de l'improvisation, processus incluant des modes de représentations non reproductibles... ?

Sachant que le spectacle vivant, tout en étant dépendant de l'économie globale, n'est pas un secteur d'activité duquel on pourrait escompter des gains de productivité, il nous paraît urgent que le Ministère de la Culture distingue la singularité de l'objet artistique de tout autre produit commercialisable et qu'il considère la création, facteur de vitalité d'une société, comme priorité d'intervention. Il est d'ailleurs important de rappeler que c'est cette idée de vitalité d'une société, voire d'arme de résistance face à la barbarie, qui a permis au gouvernement de 1936 d'initier une reconnaissance de la Culture par l'Etat.

2 - Les lieux

La danse manque de lieux intermédiaires et de lieux de diffusion. L'évolution, depuis quelques années, des pratiques de la danse, demande la création de nouveaux outils. Aujourd'hui les projets chorégraphiques croisent, bien sûr la musique et le théâtre, mais de plus en plus les arts plastiques, les arts du cirque, de la rue, des penseurs, des scientifiques, des personnes d'activités diverses, les nouvelles technologies... Ces projets se développent largement en dehors des théâtres et dans des modes de visibilité publique très divers et ils mûrissent dans des temps, des espaces et des relations de travail qui ne correspondent pas aux formats conventionnels. La recherche des expérimentations actuelles et les tentatives de déplacer et de reconcerner le regard du public sont des bouleversements importants, germes de nouveaux possibles entre des pensées divergentes, entre des personnes et des populations différentes, entre l'art et le tissu social contemporain.

Nous ne sommes plus en 1980, et bien qu'il soit incontournable de préserver des structures et lieux de références (quoique l'on pourrait envisager un réaménagement de leurs missions), il nous apparaît vital de soutenir et conforter des lieux qui ne font pas modèles, qui repensent les espaces comme de vrais espaces pluridisciplinaires d'échanges, des lieux qui ne seraient pas budgétairement happés par une équipe administrative et qui puissent accompagner des modes de représentation diversifiés.

Aujourd'hui, il est pour nous important de soutenir non pas seulement des lieux qui font événement et servent de vitrine, mais aussi des lieux qui entretiennent le continuum de la création, des lieux laboratoires, innovants, favorisant les recherches singulières et les croisements entre personnes.

Nous ne demandons pas l'invention de nouveaux labels. Nous pouvons constater que le principe de labellisation rend les compagnies dépendantes de ces labels, accentuant leur précarité, et que ce principe déresponsabilise le spectateur quant à ses choix et à son regard, renvoyant la question du rapport au public toujours dans le même sens : comment remplir une salle ? Il faudrait plutôt soutenir les initiatives d'artistes sur des lieux en correspondance avec leur environnement géographique et leur tissu artistique, des espaces parfois plus petits et multiples permettant plus de proximité et de mobilité du public.

Le CND va coûter en fonctionnement au moins 50 millions de francs, il paraît plus économique et plus adéquat à la survie de l'art chorégraphique et de sa relation au public d'accompagner des initiatives moins lourdes et moins centralisées.

Les " Plateaux pour la danse " ont tendance à figer la possibilité de diffusion des compagnies de danse. Les théâtres qui voudraient diffuser de la danse ont moins de moyens qu'avant pour le faire et renvoient les compagnies aux Plateaux pour la danse.

Comment ne pas faire porter la question de la diffusion uniquement par les " Plateaux pour la danse " ?

Comment développer des mesures qui soutiendraient toute structure désirant diffuser la danse ?

En Rhône-Alpes, certains membres du " réseau des 20 " commencent à réclamer ce soutien.

Comment les travaux les plus variés peuvent-ils également accéder à ces structures ainsi qu'aux " Plateaux pour la danse " ?

Comment penser également à des lieux dirigés collégialement ?

La question des lieux est celle du cadre qui conditionne la perception du regard et de la pensée, c'est en ce sens qu'il est important pour nous de ne pas réduire ces cadres à des formats pour consommateurs.

LES COMMISSIONS

1 - Les auditions annuelles

Les rendez-vous d’auditions annuels, tels qu'ils existent actuellement, ont été créés pour permettre aux membres de la Commission de voir le travail des équipes chorégraphiques. Or, il apparaît aujourd'hui que cette façon de rencontrer la démarche d'un artiste reste extrêmement fragmentaire. Un projet artistique ne se limite pas à une présentation d'extraits, à une démonstration technique ou à des explications discursives. Un projet est constitué d'un ensemble de paramètres et c'est l'appréhension de cet ensemble qui permet de rencontrer la réalité d'un travail. Ceci est fondamental, c'est pourquoi nous réfléchissons à d'autres façons de procéder.

Nous considérons que la rencontre d'un travail ne peut se formater et qu'elle ne peut avoir lieu que dans la proximité des cadres inhérents au projet d'un artiste. Aujourd'hui les modes de représentation et de pensée de la danse sont très diversifiés. Il est évident pour nous qu’il faut supprimer ces rendez-vous auditions et qu’il faut tout mettre en œuvre pour que les propositions artistiques soient vues par les membres de la Commission dans leur réalité c’est-à-dire dans leur contexte et là où elles se donnent en représentation.

2 - Quelques propositions pour un réaménagement des commissions

a - Mise en place d'une commission

Les membres de la Commission sont actuellement désignés unilatéralement par la direction de la DRAC. Afin de réouvrir et redynamiser le regard sur la création, nous proposons que les membres de la Commission soient élus par l'ensemble du milieu professionnel (compagnies, programmateurs, journalistes...) . Cette liste d'environ quarante postulants, sur la Région Rhône-Alpes, serait constituée de personnes occupant des fonctions et des activités diverses (voir plus loin). La DRAC comme les compagnies proposeraient des personnes pouvant et désirant figurer sur cette liste.

Pour devenir membre de la Commission, chaque postulant présenterait une note d'intention, consultable par tous les partenaires. Sur cette note d'intention seraient précisés la profession, les motifs, les désirs (ou autres considérations) qui lui font accepter de devenir membre de la Commission. Nous préférons nommer ces membres des consultants plutôt que des experts.

Pour couvrir tous les projets, la Commission actuelle est évidemment trop réduite en nombre. Le nombre de consultants élus devrait correspondre à un quart du nombre de dossiers déposés (par exemple 15 membres-consultants dans la Commission pour soixante dossiers.)

Cette commission resterait élue pour trois ans. Durant la troisième année, elle serait renouvelée d'au moins la moitié pour les trois années suivantes.

Les votes pour élire les membres de la Commission ainsi que ceux pour l’attribution des aides devraient se faire à bulletins secrets.

Les élections des consultants comme le choix des projets soutenus se feraient à la majorité, il n'y aurait pas de veto.

b - Composition dune commission

Il nous apparaît très réducteur qu'une Commission soit composée exclusivement de professionnels de la danse et essentiellement de programmateurs. Il est essentiel d'ouvrir le champ des regards afin de redéployer l'art dans les diversités de conscience que couvre une société afin d’éviter de limiter une œuvre à son rapport marchand et à ses possibilités de diffusion. Il faudrait considérer les différents modes de représentations, l'ensemble du parcours d'un artiste, le processus de travail, les formes collégiales de créations, les formes de pensée en éclosion...

Nous proposons que l'ensemble de la Commission représente quatre groupes de professions ou activités diverses :

1 - (professionnels) : journaliste, danseur, chorégraphe, programmateur, technicien du spectacle...

2 - (chercheurs) : historien d'art, philosophe, sociologue, psychologue, scientifique...

3 - (autres arts) : compositeur, musicien, metteur en scène, comédien, plasticien, écrivain...

4 - (public ) : enseignant, milieu médical, spectateur...

Toutes ces personnes seraient choisies pour leur intérêt et leur fréquentation aux créations chorégraphiques.

c - Cahier des charges

Être consultant d’une commission est un véritable engagement dans la vie artistique. Il serait nécessaire de créer un statut et dégager un budget pour, au moins, les frais de déplacement.

Nous constatons également que le rendez-vous annuel unique pour décider de subventions bloque la dynamique des calendriers de créations. Il serait plus juste de mettre en place deux possibilités de dépôts de dossier par an. (En conservant, un dépôt maximum par an pour chaque compagnie, ainsi que la possibilité de ne pas déposer sans pour cela perdre le soutien pour une année ultérieure).

Étant donné le fonctionnement général des équipes artistiques, nous proposons fin janvier et fin juin.

Lors des dépôts de dossiers, une réunion préparatoire des membres de la Commission serait nécessaire pour organiser une répartition des consultants afin que chacun d'entre eux s'engage à aller voir un nombre de projets définis. La Commission s'assurant que tous les projets déposés soient vus par au moins trois membres représentants chacun des groupes différents d'activités (voir plus haut). Chaque projet serait vu dans son contexte de représentation.

fin que le regard sur le travail soit plus approfondi, il serait également important que chaque membre de la Commission se rende disponible pour rencontrer les artistes porteurs des projets pressentis.

D'autre part, il pourrait y avoir une concertation entre les commissions des différentes régions afin de s'informer, d'échanger et de réfléchir entre elles sur les modes de travail.

3 - Les critères

La question artistique est par nature subjective et donc, évidemment aucun critère de jugement ne peut être mis en avant.

Juger de la qualité artistique d'un projet renvoie à des choix politiques inséparables des questions d'esthétique. Dans ce sens, il ne s'agit pas de mettre en place des objectivités mais de soutenir des subjectivités diverses, d'organiser une pluralité de la pensée.

Nous considérons que chaque projet porte en lui-même sa dialectique fond/forme et par conséquent ses propres critères d'évaluation. Le projet définit lui-même de quel enjeu il s'agit, de quel rapport au public, de quelle étape dans un parcours de création, de quel questionnement du regard.

Un projet doit être appréhendé non en fonction de repères normatifs mais sur sa capacité à creuser l'enjeu qu'il s'est donné à faire parvenir une pensée, une émotion, un renouvellement du regard dans le contexte qu'il s'est choisi sans pour cela le limiter à la notion d’œuvre et indépendamment de son action sociale et de la quantité de diffusion qu'il engendre.

Toute forme de processus de travail peut participer à sa façon et dans son envergure propre à l'évolution de modes d'écriture, de poétique, de représentation, au renouvellement de la relation au public et à l'élaboration progressive de la singularité d'un parcours.

Tout projet qui a du sens aujourd'hui bouleverse les habitudes, déplace les perceptions.

CONCLUSION - EN GUISE D'OUVERTURE

Nous sommes toujours dans une époque de domination : maîtrise sur soi, sur la nature sur la société où toute chose doit être prévisible, peut se comprendre mécaniquement, s’organiser rationnellement, dans une structure verticale, patriarcale, de l'être, de l'état, des institutions.

Depuis quelques années (environ 50 ans), pour appliquer les politiques, ont été mis en place des systèmes " d'aménagement ", avec cette logique rationnelle, découpant, segmentant la société en jeunes, vieux, chômeurs, handicapés, quartiers, culture, science etc...

Nous retrouvons ces mêmes applications de découpage à l'intérieur du champ culturel nous retrouvons ces mêmes réponses " pansements " aux besoins qui surgissent du fait d'un dangereux laisser-faire politique par rapport au marché économique. Ces dispositifs, loin de régler les questions, isolent les individus et précarisent la vie de nombreux secteurs, les rendant sujets plutôt qu'acteurs dans une politique.

Sur la question de la Culture et de l'art en particulier, il nous paraît très important de fluidifier les échanges entre artistes et institutions, d'associer les artistes à la mise en place des dispositifs et des moyens de production et de création, de rendre l'artiste réellement acteur dans le champ politique qui l'environne.

Il est essentiel, vital, de stimuler le débat sur la création, sur l'art dans notre société contemporaine, que ce soit à un niveau local comme national.

Nous sommes dans une époque où des propositions de pensées complexes font leur chemin, où des connexions sont demandées entre art, science, éthique et politique.

Comment l'Etat pourrait-il également inciter ou soutenir plus fortement les collectivités locales à accompagner les artistes et leurs projets, et à s'efforcer de relier chacun à la question de l'art ?